Fin mai, quand nous avions demandé aux Français quels sentiments leur inspiraient les élections régionales, un seul se dégageait : l’indifférence, cité par 1 Français sur 2. Bien loin devant la curiosité, l’intérêt mais aussi la colère.
Les niveaux records de l’abstention enregistrés au premier comme au second tour matérialisent cette indifférence des Français à l’égard du scrutin : seul 1 électeur sur 3 s’est déplacé dimanche dernier quand ils avaient été 58% à le faire en 2015.
On peut vouloir expliquer par le contexte du Covid-19 ce record d'abstention, arguant que les Français ont d'autres soucis. Mais on a aussi voté depuis un an en Italie, Pays-Bas, Espagne, Allemagne etc. sans effondrement de la participation.
Une hausse de 20 points de l'abstention d'un scrutin à l'autre ne s’était produite qu'une fois, lors des municipales de l'an dernier. Est-ce alors le signe d’un désintérêt brutal des Français à l’égard de la politique ? Difficile à affirmer dans la mesure où depuis 2015 l’intérêt déclaré des Français pour la politique (que nous mesurons dans notre baromètre mensuel Kantar Public onepoint pour le Figaro Magazine) ne s’est pas effondré et progresse même fortement ces derniers mois. Cela rend le message envoyé pas les abstentionnistes aussi troublant qu'impressionnant : la politique ne passerait plus par le vote. En tous cas, pas par le vote pour les partis politiques tels qu’ils se présentent aujourd’hui. Et encore moins pour des élections intermédiaires comme les régionales et les départementales dont on voit que les Français peinent à saisir l’impact sur leur vie quotidienne.
Les résultats de ce scrutin montrent que la mise en scène du débat politique tel qu’il est présenté aujourd’hui, au travers des stratégies électorales d’alliance, de retrait, de dissension ne mobilise plus. La mécanique est grippée et la responsabilité des médias, qui mettent en scène l’élection comme un affrontement de personnes sans jamais évoquer les programmes, est aussi interrogée. Dans l’enquête que nous avions menée fin mai, les Français nous le disaient sans détour, ils ne voulaient pas entendre parler de stratégies d’alliance entre les partis ni de l’impact des régionales sur la présidentielle mais davantage des programmes des candidats ou du rôle des Conseils régionaux. Or force est de constater que le traitement médiatique n’a pas vraiment suivi ces attentes. Au désamour des Français à l’égard des partis s’est ajouté leur critique de la façon dont les médias traitent la vie politique. Dans une période aussi bouleversée que celle que nous rencontrons, et bien au-delà de la crise Covid-19, ce que les Français attendent aujourd’hui c’est que les femmes et les hommes à qui ils donnent leur voix redonnent du sens à la politique, à la vie en société, qu’ils redéfinissent le vivre-ensemble et redessinent ainsi un projet commun fédérateur.
En attendant, cette indifférence des Français à l’égard des élections – mais pas à l’égard de la politique – a une incidence bien concrète : celle de figer le jeu et l’équilibre politiques. Non seulement les différentes majorités régionales sortantes ont été réélues mais elle se trouvent même confortées par rapport au premier tour. L’analyse des deux scrutins montrent aussi une forme de suprématie des régionales, qui ont phagocyté la couverture médiatique de ce double scrutin, sur les départementales. Les départements qui basculent de gauche à droite ou de droite à gauche le font le plus souvent dans le sens tiré par la prime au sortant au niveau régional.
Quand peu d’électeurs votent, ceux qui se mobilisent sont ceux qui sont inscrits dans le jeu et l’offre politiques existants et tendent à les légitimer. Dès lors, et si cette situation devait se confirmer à l’avenir, il y a peu de chance que ces élections intermédiaires soient l’occasion de voir émerger de nouvelles forces politiques (comme ce put être le cas en 1983 avec le Front national ou EELV en 2009)… et donc de réengager les abstentionnistes dans le jeu électoral. La fragilité des forces politiques bénéficiaires du « dégagisme » de 2017 (principalement LREM et le RN) dont les électeurs ne se sont pas mobilisés où n’ont pas jugé utile de le faire en leur faveur, rappelle à quel point le paysage politique français est instable, et que la présidentielle de 2022 est loin d’être jouée.