Contexte et enjeux
Région à l'identité fragile, le Grand Est n'a pas vu se développer un sentiment d'appartenance commune entre les trois anciennes régions qui la constituent. La création de la collectivité européenne d'Alsace en 2021, qui résulte de la fusion des deux départements du Haut et du Bas-Rhin a d'ailleurs relancé le débat sur la possibilité d'une disparition de cette grande région. En 2021, comme en 2015, ce sujet sera sans nul doute encore présent dans la campagne, plusieurs personnalités politiques locales affichant clairement leur souhait d'un retour aux anciennes régions.
Dans le contexte très particulier de la crise sanitaire, la situation électorale dans le Grand Est demeure en grande partie floue, peu de représentants politiques ayant choisi de faire acte de candidature, et plusieurs tractations étant encore en cours.
Le Grand-Est est une région historiquement marquée à droite. Lors des élections régionales de 2004 et 2009, l'Alsace avait notamment été la seule région métropolitaine à avoir élu une majorité de droite. En 2017, les habitants du Grand Est ont placé Marine Le Pen en tête au premier tour de l'élection présidentielle dans l'ensemble des départements, avec des scores particulièrement importants dans les départements de l'ancienne région Champagne-Ardenne. Ces résultats avaient été précédés d'un score lui aussi important réalisé en 2015 par Florian Philippot aux élections régionales (36%). Le RN semble donc bénéficier d'une situation favorable et verra sa liste menée par Laurent Jacobelli, ancien candidat Debout la France pour la région Grand-Est.
Néanmoins, l'actuel président de la région et ancien maire de Mulhouse Jean Rottner apparait solidement implanté. Elu en 2017 par le conseil régional suite à la démission de Philippe Richert qui avait conduit la liste des Républicains en 2015, Jean Rottner s'est fortement impliqué dans la gestion de la crise du Covid-19, y compris au niveau national, qualifiant les difficultés de la campagne de vaccination de « scandale d'Etat ». Dans ce contexte, la possibilité d’une alliance avec la République En Marche a fait long feu. Officiellement candidat depuis le 3 mai 2021, le président sortant apparait comme le grand favori pour sa propre succession.
Au sein du parti présidentiel, le choix s’est d’abord porté sur Bérangère Abba, Secrétaire d’Etat à la biodiversité. Mais le manque de notoriété de la candidate a poussé le parti présidentiel vers un autre choix, celui de Brigitte Klinkert, ministre déléguée à l’Insertion et artisane de la création de la collectivité européenne d'Alsace.
Cette dernière s’est déclarée « candidate sans étiquette » mais devrait recevoir le soutien du parti présidentiel. Elle a placé sa candidature sous le signe de la décentralisation régionale et pourrait orienter le débat sur la question de l’existence et du fonctionnement de la région, notamment après les critiques formulées par Jean Castex le 23 janvier, dans un discours devant la collectivité européenne d’Alsace, sur le bien-fondé des « immenses régions ».
Enfin, à gauche, le désir des différents partis, comme dans de nombreuses régions, est de parvenir à l'unité des différentes forces, afin d'éviter un duel entre les Républicains et le RN. Cependant, cette unité semble difficile à réaliser. Un premier appel lancé fin 2020, dénommé « l'Appel inédit », a tenté de rassembler les différentes formations de gauche sans y parvenir. A l'instigation d'Aurélie Filippetti, de Caroline Fiat (LFI) et de Pernelle Richardot (PS) cet appel avait pour objectif l'union des forces de gauche. Mais début mars, un autre appel a été lancé suite à un début d'accord entre les représentants d'EELV, du PS et du PCF, la France Insoumise étant le seul grand absent. Cet accord pourrait-il diminuer les chances de l'Appel Inédit et de l'union de toutes les grandes forces de gauche ? Les militants devront décider et les deux appels ne sont pas nécessairement antinomiques. Cependant, les rancunes et mésententes sont fortes et pourraient compromettre la possibilité d'une gauche unie.
Ce que disent les sondages
Un sondage d’avril 2021, réalisé par Harris Interactive pour Europe-Ecologie-Les Verts permet d’analyse les forces en présence à 2 mois des élections régionales. Par rapport à l’enquête précédente, ce nouveau sondage témoigne d’un changement de rapport de force, à mesure que les candidatures se précisent.
A gauche, la possibilité de voir deux listes d’union s’affronter n’empêcherait pas ces dernières de réaliser un score suffisant pour se qualifier au second tour. Avantage à la liste menée par Eliane Romani, créditée de 16% des intentions de vote, devant la liste menée par Aurélie Filiippetti qui n’est elle créditée que de 10% des voix.
Au second tour, une alliance entre les deux listes pourrait permettre à la gauche de peser, notamment dans une potentielle quadrangulaire. Néanmoins cela nécessiterait un accord entre deux volontés d’union qui n’ont pas réussi pour le moment à s’entendre.
Alors que dans un premier temps la candidature soutenue par la République en Marche semblait patiner, celle de Brigitte Klinkert séduit davantage les électeurs du Grand Est. En axant sa candidature sur la défense d’une région décentralisée, la candidate sans étiquette mais soutenue par le parti présidentiel, pourrait rassembler 18% des votes. Si ce score ne parait pas suffisant pour espérer ravir la région, il suffirait à se maintenir au second tour et pourrait forcer le candidat Les Républicains à négocier avec La République en Marche pour conserver son fauteuil.
Jean Rottner, qui demeure le favori, est crédité de 24% des intentions de vote. Malgré son rôle de président sortant et son action durant la crise sanitaire, l’ancien maire de Mulhouse semble peiner à convaincre la majorité des électeurs.
Un tel score permettrait néanmoins à Jean Rottner de se présenter en chef du front républicain face à la liste RN mais cette posture pourrait ne pas suffire à convaincre les électeurs de se rallier à sa candidature, surtout en cas de maintien de la liste La République en Marche.
Enfin, la liste RN, conduite par Laurent Jacobelli semble parti pour arriver en tête, avec 28% des intentions de vote. Si ce score est légèrement inférieur à celui de 2015 (32%), il pâtit d’une candidature de Florian Philippot, bien implanté en Lorraine et qui est crédité de 4% des intentions de vote.
La liste RN devrait donc sans surprise se maintenir au second tour où elle pourra espérer l’emporter seulement dans une hypothèse de quadrangulaire avec une dispersion des voix entre LR, LREM et la gauche.
Pourquoi suivre cette élection
Cette élection est intéressante sur plusieurs points :
- Cette élection va relancer le débat sur la région Grand Est, notamment après la création de la collectivité européenne d'Alsace. Si la possibilité d'une disparition de la grande région n'est pas à l'ordre du jour, une évolution de son fonctionnement pourrait devenir un objet de discussion.
- La possibilité d'une union de la gauche est un enjeu, tant au niveau régional que national. Comme pour les autres régions, une union de la gauche pourrait présager des futurs manœuvres en vue de l'élection présidentielle.
- Le score de Jean Rottner sera à observer de près. Ce président de région a choisi d'incarner un rôle médiatique, souvent critique à l'égard du gouvernement. Un score important pourrait témoigner de l'émergence de certains présidents de région comme des personnalités politiques de premier plan. Le cas de Jean Rottner est particulièrement symbolique car contrairement à d'autres présidents de région de droite (X. Bertrand, L. Wauquiez, V. Pécresse), il ne bénéficiait pas d'une notoriété nationale avant de se faire élire.
- Enfin, le RN, si il a de très faibles chances de l’emporter, pourrait tenter de renforcer son implantation dans la région, voire ravir la présidence, en cas de quadrangulaire.
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