Mise à jour : 14 juin 2021
Contexte et enjeux
La Bretagne, terre sociale-démocrate que LREM aimerait ravir aux socialistes
De tradition démocrate-chrétienne, la Bretagne au passé conservateur s'est transformée depuis les années 1990 en un bastion de gauche, où le Rassemblement National réalise d'ailleurs ses plus faibles scores au niveau national.
En 2004, Jean-Yves Le Drian, alors député PS du Morbihan avait remporté les élections régionales et fait basculer à gauche le Conseil régional de Bretagne, jusqu'alors ancré à droite (modérée, d'inspiration centriste). Figure populaire, J.-Y. Le Drian avait été reconduit à la tête de la région en 2010 puis en 2015. Mais en juin 2017, nommé ministre de l'Europe et des Affaires étrangères au sein du Gouvernement d'Edouard Philippe, J.-Y. Le Drian démissionne de la présidence de la Région, et passe le flambeau à Loïg Chesnais-Girard (PS), son premier adjoint qui avait aussi été son directeur de campagne deux ans plus tôt. Le nouveau président de la Région Bretagne se retrouve alors à la tête d'une majorité qui, si elle continue de faire bloc et de voter les lois proposées par leur président, a vu sa composition évoluer à la suite du ralliement d'une douzaine d'élus socialistes à Emmanuel Macron la même année. Aujourd'hui toutefois, et dans la perspective des élections régionales, les tensions montent au sein de cette majorité, et on assiste à un déchirement du groupe social-démocrate.
Si les dernières élections municipales confirment l'ancrage du parti socialiste au niveau local – avec notamment son maintien à Rennes (depuis 1977) et Brest (depuis 1989) et la conquête de nouvelles villes jusqu'alors de droite -, en Bretagne comme ailleurs les candidatures soutenues par la majorité présidentielle perturbent les rapports de force traditionnels. D'autant que le « en même temps » semble faire écho chez les électeurs bretons aux racines sociales-démocrates : en 2017, c'est en Bretagne qu'Emmanuel Macron a fait son meilleur score (29,05% des suffrages au 1er tour, soit 5 points de plus que la moyenne nationale), et les listes de la majorité présidentielle ont remporté 24 des 27 circonscriptions aux élections législatives qui ont suivi.
Un fauteuil de président convoité
A gauche, le président sortant, Loïg Chesnais-Girard (PS), a annoncé sa candidature à la tête de la liste du Parti Socialiste. Son mentor J.-Y. Le Drian (ex-PS, fondateur du parti Territoires de Progrès depuis 2018) avait essayé de le convaincre de s'allier avec la majorité présidentielle dans une liste de rassemblement dépassant les clivages gauche-droite, mais le socialiste a refusé. Fort de son expérience à la tête de la région, il met également en avant sa fidélité et son engagement pour la région, face à la candidature de Thierry Burlot qu'il juge « opportuniste » et trop « soumis à la majorité présidentielle et aux décisions qui viendraient de Paris ». Par ailleurs, il pourra également se poser en rassembleur, et mettre en avant « sa bonne gestion » du Conseil régional malgré le caractère hétéroclite de sa majorité. Toutefois, Loïg Chesnais-Girard fait face à des conditions très différentes par rapport aux dernières élections régionales : sa notoriété et sa popularité sont bien plus faibles que celles dont bénéficiait J.-Y. Le Drian à l'époque. Par ailleurs, la recomposition du paysage politique, avec la candidature des marcheurs ex-socialistes, complique les pronostics.
Trentenaire, néorurale et diplômée de Sciences Po, c'est Claire Desmares-Poirrier (EELV) qui conduit la liste « Bretagne d'avenir » qui rassemble des candidats d'Europe Ecologie Les Verts (EELV), de l'Union Démocratique Bretonne (UDB), et d'Ensemble Sur Nos Territoires (ESNT). Comme d'autres partis souhaitant tirer profit de l'effritement de la majorité sociale-démocrate à la Région, EELV espère s'ancrer dans la région alors que la dynamique lui semble favorable : ils n'ont actuellement aucun élu au Conseil régional mais le parti écologiste avait obtenu 16,2% des voix en Bretagne aux européennes de 2019, et s'est dit satisfait de compter plus d'élus municipaux suite aux municipales de 2020. La liste qui espère un au moins aussi bon score qu'en 2010 (17,37% des suffrages à la triangulaire du 2nd tour) ne se dit toutefois pas fermée à une fusion avec la liste du président sortant au 2nd tour, sous réserve qu'il n'y ait pas d'alliance avec la majorité présidentielle.
EELV avait refusé une alliance avec La France Insoumise (LFI) qui fait donc cavalier seul avec une liste menée par le tandem Marie-Madeleine Doré-Lucas et Pierre-Yves Cadalen.
Toujours à gauche, la cheminote Valérie Hamon conduit la liste de Lutte Ouvrière (LO) pour la troisième fois, avec pour but annoncé de « faire entendre le camp des travailleurs ».
Au centre, Thierry Burlot (ex-PS désormais sans étiquette) a été choisi pour mener la liste « Nous la Bretagne » soutenue par LREM, le Modem, UDI et Territoires de progrès. Membre de la majorité au Conseil régional, il y était jusqu'au 22 avril dernier vice-président en charge de l'environnement, délégation que lui a retirée le L. Chesnais-Girard à la suite de l'annonce de sa candidature sur une liste concurrente, que l'actuel président de Région a vécu comme une trahison. Thierry Burlot dit assumer le bilan de la majorité et vouloir se présenter en « rassembleur », dans la lignée de J.Y. Le Drian, face à un président sortant qu'il décrit comme refusant tout accord. Il défend a priori un projet semblable dans les grandes lignes à celui de Loïg Chesnais-Girard (qui avait refusé la proposition de mener la liste de la majorité présidentielle), mais affiche son opposition à EELV (avec lesquels la liste socialiste pourrait fusionner au 2nd tour), dont il considère que leurs propositions sont trop radicales. Si Thierry Burlot est soutenu publiquement par Richard Ferrand (LREM), conseiller régional et président de l'assemblée nationale, il n'a cependant pas reçu l'adoubement de J.-Y. Le Drian, proche de L. Chesnais-Girard, dont le jeune parti (Territoires de progrès) intègre pourtant la liste « Nous la Bretagne ».
A droite, c'est Isabelle Le Callennec (LR) qui conduira la liste « Hissons haut la Bretagne ». L'ancienne députée avait fait ses débuts en politique en 1993 aux côtés de Pierre Méhaignerie (UDI) alors président du conseil général d'Ille-et-Vilaine, et lui a succédé à la tête de la mairie de Vitré après 43 ans de mandats du centriste. Toutefois, l'ancienne porte-parole de la campagne de François Fillon (2017) qui a également été l'un des soutiens de la Manif pour tous et de Sens commun, l'aile conservatrice des Républicains n'est pas parvenue à opérer pour ces élections régionales une alliance de centre-droit, l'UDI ayant préféré parier sur la formation d'une liste de marcheurs et centristes menée par Thierry Burlot.
Gilles Pennelle (RN), conseiller régional depuis 2015, portera la liste du Rassemblement National. Malgré de faibles scores du Rassemblement National en Bretagne, la tête de liste espère que la configuration politique actuelle – une majorité de gauche morcelée, une liste de droite faible et une majorité présidentielle à faible ancrage local - lui sera favorable et lui permettra d'arriver au 2nd tour comme il l'avait fait en 2015 (18,87% des suffrage à l'issue de la triangulaire). G. Pennelle veut ainsi s'imposer comme la principale force d'opposition de droite dans ces élections. Il est par ailleurs envisageable qu'ait lieu un accord, avant le 2nd tour, avec la liste de Debout la France conduite par David Cabas, ou encore la liste « La Bretagne en héritage » du souverainiste Yves Chauvel (sans étiquette) émanation du mouvement "les volontaires pour la France" présidé par le Général Antoine Martinez, candidat à l'élection présidentielle de 2022 et signataire de la tribune de militaires dans Valeurs Actuelles.
Enfin, comme toujours dans cette région à l'identité culturelle forte, deux listes « locales », représentées par des personnalités et partis basés en Bretagne, complètent le panorama des candidats à ces élections régionales. D'un côté Daniel Cueff (sans étiquette), l'ancien maire anti-pesticides de Langoüet conduit sa liste hors des partis politiques et prône un rassemblement au-delà des sensibilités politiques, pour faire face au défi climatique. De l'autre, Joannic Martin emmènera la liste du Parti Breton qui prétend également surmonter les clivages au service de l'autonomie décisionnelle de la Bretagne.
Ce que disent les sondages
Près d'un mois après le sondage d'Odoxa, celui d'Ipsos, paru le 9 juin dernier, attire l'attention sur une possible montée du RN : en hausse de 6 points par rapport au précédent sondage, la liste RN conduite par Gilles Pennelle arriverait ainsi en tête au premier tour, avec 20% des votes exprimés (son score en 2015 avait été de 18,17%). Elle serait toutefois suivie de très près par les listes LREM de Thierry Burlot (19%) et PS du président sortant Loïg Chesnais-Girard (19%).
Ce sondage confirme par ailleurs pour la liste Les Républicains un niveau très nettement inférieur (14%) qui semble loin de celui obtenu en 2015 (23,46%). A l'inverse, la liste EELV conduite par Claire Desmares- Poirrier serait en mesure d'accéder au 2nd tour avec 12% des intentions de vote (6,7% en 2015) et ce malgré la présence d'une seconde liste écologiste :« Bretagne ma vie » de Daniel Cueff qui recueillerait 4% des voix.
Avec pas moins de 5 listes pouvant a priori se maintenir au 2nd tour, la question des alliances sera capitale notamment pour faire émerger une solide majorité.
Parmi les scénarios testés, l'union des gauches alliant les listes PS et EELV autour du président sortant permettrait de dégager la majorité la plus solide, grâce aux 39% des voix qu'elles pourraient obtenir (face aux 24% du RN et aux 21% de la liste LREM). En revanche, une fusion des listes PS et LREM ne remporterait que 29% des voix, un score très proche de celui du RN dans cette configuration (26%). Des scores qui seront à observer de très près : si la liste arrivant en tête n'obtient pas de majorité absolue malgré la prime en sièges du 1er, cela nécessiterait la formation de coalitions pour gouverner.
Enfin, notons que le rapport de force est loin d'être fixé : hormis les personnes déclarant vouloir voter pour la liste RN (82% indiquent que ce choix est définitif), la plupart des électeurs ne sont pas sûrs de leur choix : ainsi, que ce soit pour la liste PS (choix définitif pour 50%), LREM (48%) ou LR (45%), environ de la moitié d'entre eux disent encore pouvoir changer de vote. Pour la liste EELV, la volatilité est encore plus importante : seuls 20% des répondants affirment que leur choix est définitif.
Pourquoi la suivre
- Parce qu'après 3 mandats d'une extrême stabilité pour le PS en Bretagne, sous la présidence de Jean-Yves Le Drian, la majorité régionale est éclatée et le scrutin tout à fait incertain : le jeu des alliances au 2nd tour sera donc particulièrement décisif.
- Un jeu incertain et un paysage politique éclaté qui pourra peut-être nécessiter un troisième tour tout aussi passionnant pour l'obtention d'une majorité au Conseil régional.
- Parce que, pour espérer se maintenir, le Parti Socialiste devra certainement – en rupture avec la stratégie suivie par J.-Y. Le Drian alors - adopter une stratégie d'union de la gauche élargie en s'alliant avec EELV et ses colistiers et en acceptant donc de céder un peu plus sur la répartition du pouvoir et donc des sièges au conseil régional.
- Parce que, malgré une implantation locale limitée, LREM identifie la Bretagne comme étant l'une des rares régions gagnables au vu des scrutins passés (élections présidentielle et législatives de 2017, européennes de 2019) et du soutien de J.-Y. Le Drian à la majorité présidentielle.
- Parce que si la région reste particulièrement réticente à l'extrême-droite, les scores du Rassemblement National y augmentent, et que le rebattement de cartes opéré par la création d'une liste de centre-droit peut profiter au RN qui avait déjà obtenu 18,17% des suffrages au 2nd tour en 2015.
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