#Anti2010 : lutte contre le harcèlement en ligne et lutte contre la désinformation, même combat ?

La rentrée scolaire peut être un moment stressant pour les enfants, avec son lot d’inquiétudes et de nouveautés. Vais-je être dans la même classe que mes amis ? Est-ce que mon nouveau professeur sera gentil ?... Cette année une nouvelle question, particulièrement angoissante, a surgi : suis-je né la bonne année ?
29 septembre 2021
 lutte contre le harcèlement en ligne
Guillaume Caline
Guillaume
Caline

Directeur de clientèle, Kantar Public France

laurence vardaxoglou
Laurence
Vardaxoglou

Doctorant chercheur associé à Kantar Public

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Pour certains enfants nés en 2010, et qui découvrent cette année les joies du collège, l’arrivée en 6e a été particulièrement dure. Le mouvement #Anti2010 en a fait les cibles de moqueries et d'insultes par des élèves plus âgés. Le harcèlement a lieu principalement sur TikTok, le réseau social de partage de vidéos très prisé par les jeunes Français et sur lequel un ensemble de vidéos avec le hashtag #Anti2010 a été vu plus de 44 millions de fois, souvent accompagnés de commentaires insultants et offensants. Ils ont été traités de « idiots » et même de « cancers » par des « soldats » menant un « combat [pour] atomiser les 2010 ». Et le phénomène s'est naturellement répandu dans les couloirs et les cours de récréation.

La faute de ces collégiens nés en 2010 ? Il semblerait qu’il y en ait deux. D’abord, leur soi-disant mauvais goût. Il leur ait en effet reproché d’avoir joué avec Pop It, un jouet en caoutchouc qui a déferlé dans les cours de récréation en juin dernier (FranceInfo). Une faute de goût aggravée par la chanson de la youtubeuse Pink Lily, Pop It Mania (chaîne Youtube). Née en 2010, elle fait l'éloge en chanson du Pop It et de son groupe d’âge : « on est les queens de 2010 » ou encore « nés en 2010 et déjà sur les tendances ».

Deuxième reproche fait aux 2010, leur supposé mauvais comportement en ligne. Comme le reste de leur génération, certains élèves nés en 2010 jouent beaucoup à Fortnite, un jeu en ligne officiellement interdit aux moins de 12 ans. Non seulement ils transgressent cette règle, mais ils rendraient les parties de jeu ringardes, selon leurs ainés en 5e ou 4e.

Le harcèlement, tout comme les « fake news », est un problème lié à l’éducation, et non à la technologie

Dans un communiqué du 15 septembre, la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) a demandé au gouvernement « d’agir en urgence » en soulignant que « le harcèlement […] prend bonne place aux côtés du complotisme, des manipulations et des fake news ». Ce parallèle fait entre lutte contre le harcèlement en ligne et lutte contre la désinformation est intéressant à plusieurs titres.

Ainsi, face au phénomène, le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a d’abord agi en exigeant de TikTok le retrait du hashtag #Anti2010. Il a donc d’abord cherché des correctifs technologiques, comme le font depuis quelques temps certains réseaux sociaux en signalant ou supprimant les contenus soupçonnés de diffuser des fakes news. Les tentatives visant à limiter la propagation et l'influence des fake news conduisent en effet souvent aux dispositifs de « fact-checking ». Or, la littérature académique montre que les fact-checks sont non seulement souvent inefficaces, mais posent une foule de nouveaux problèmes (Trends in Cognitive Sciences). Entre autres : les vérificateurs de faits professionnels ont souvent du mal à se mettre d'accord sur la « vraie » vérité, les vérifications arrivent souvent trop tard et les informations sans vérifications en viennent à être supposées vraies (alors qu'en réalité elles n'ont pas été contrôlées).

Des mesures proactives visant à prévenir la désinformation, fondées sur la théorie psychologique de  « l'inoculation », se sont avérées beaucoup plus efficaces. Tout comme un vaccin, ces mesures se basent sur l’hypothèse que, si les gens sont prévenus, qu'ils pourraient être mal informés, ils seront davantage à l'abri de la désinformation (European Review of Social Psychology). Ces essais se sont avérés prometteurs. En 2014, le gouvernement finlandais a ainsi lancé un programme national pour veiller à ce que l'ensemble de la population – des élèves aux responsables politiques – soit sensibilisée aux dangers des fausses nouvelles (The Guardian). Les résultats parlent d'eux-mêmes, car la Finlande est largement en tête d’un indice annuel mesurant la résistance aux fausses nouvelles dans 35 pays européens (Open Society Institute Sofia).

En rappelant que « le harcèlement n'a pas sa place à l'école » et en lançant une contre-campagne #BienvenueAux2010 dans une vidéo où il fait appel à la bienveillance des élèves plus âgés, Jean-Michel Blanquer semble donc sur la bonne voie. Mais cette intention doit être suivi d'actions de plus long terme comme ce qui est réalisé en Finlande, notamment parce que des vidéos sur le sujet continuent d’être partagées et visionnées par le jeune public malgré le retrait du hashtag (FranceInfo).

Il est impératif d'impliquer nos enfants dans nos efforts de comprendre le harcèlement en ligne

Dans une enquête réalisée par Kantar Public pour la FCPE à la rentrée 2020, 33% des parents d’élèves interrogés estimaient que leur enfant avait déjà été victime de faits de harcèlement (Kantar). D’autres études suggèrent également une large diffusion de ces phénomènes : plus d’un jeune Français sur deux (56%) aurait ainsi été victime de cyberviolences (Institut Montaigne) et cela a un impact majeur sur leur santé mentale.

Il s'agit donc d'un problème de santé publique extrêmement important. Pourtant, on note un consensus général selon lequel les efforts pour comprendre le harcèlement en ligne ont été insuffisants (ScienceDirect). Nous avons commis l'erreur de considérer le harcèlement en ligne comme du harcèlement classique, différant des autres formes uniquement par son médium. Or la réalité est bien plus complexe : il existe une foule de nouvelles inquiétudes, menaces et agressions à prendre en compte. Par exemple, la détresse créée par le nouvel anonymat des intimidateurs, et le non-signalement d’abus car des enfants craignent que leur accès à Internet soit interrompu (limitant drastiquement leur vie sociale) ou que les adultes soient complètement inaptes à gérer les cyber-problèmes (Pew Research Center).

Ce dernier résultat va à la racine du problème. Comment pourrions-nous aider ces enfants quand nous comprenons à peine leur vie en ligne ? Internet joue un rôle central dans la vie sociale des enfants aujourd’hui, et cette importance nous échappe car nous ne l’avons jamais expérimentée nous-mêmes. Sans expérience vécue, il y a une limite à la compréhension de ce qu'ils peuvent vivre. En tant que « digital natives », les enfants doivent être au cœur de nos efforts pour comprendre et résoudre les problèmes du harcèlement en ligne. Pour vraiment les comprendre et les aider, nous devons travailler avec eux, en tant que co-chercheurs. Dans l’industrie du divertissement anglosaxon, une boutade enjoignait à ne jamais travailler avec des enfants ou des animaux (« never work with children or animals »). Mais ça, c'était avant que le divertissement ne devienne des vidéos de 15 secondes réalisées par des enfants dans leur chambre.

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