S'agit-il faire barrage au Rassemblement national ? De voter pour ou contre l'Europe ? De pénaliser le parti présidentiel, ou de réagir au mouvement des gilets jaunes ? Toutes ces questions traversent ensemble la tête des électeurs, mus par des motivations plus imbriquées que jamais.
L'intérêt est là, mais les connaissances pêchent
Les Français sont loin d'être indifférents à l'Europe. 66 % d'entre eux trouvent un intérêt au scrutin, avec la prescience qu'il sera déterminant pour l'avenir.
62 % des personnes interrogées pensent que le scrutin peut changer quelque chose pour l'Europe, tandis que 56 % estiment que l'élection aura un impact sur la situation en France. Les Français pensent que leur vote pourra donner une inflexion sur la politique européenne d'économie et la croissance (58 %) de même que dans les domaines de l'environnement, des migrations et du fonctionnement des institutions (56 %).
Cependant, ils méconnaissent les personnalités qui comptent sur la scène politique européenne.
- 57 % restent sans opinion ou ne le connaissent pas Jean-Claude Juncker, actuel président de la Commission européenne.
- 81 % des Français ne connaissent pas Donald Tusk, président du conseil Européen.
- Seuls 36 % des électeurs identifient clairement l'existence de groupes politiques au parlement européen.
Une part d'entre eux s'estiment en carence d'information tout à la fois sur le bilan global de l'UE (38 %), les programmes européens des partis français (35 %), mais aussi sur le rôle et le pouvoir du Parlement européen (26 %). Ce manque de maîtrise explique sans doute que le niveau de participation, estimée à 43 %, ne décolle par rapport aux scrutins de 2014 (42 %), de 2009 (41 %) ou de 2004 (43 %), bien loin de la première participation, en 1979, qui mobilisa à l'époque 61 % des électeurs.
Les ingrédients qui poussent au vote
60 % des Français interrogés déclarent en effet tenir compte, dans leur vote, des enjeux nationaux mais également des questions européennes. Parmi les plus assurés d'aller voter, 30% se décideront uniquement sur les questions européennes, deux fois plus nombreux que ceux qui prendront exclusivement en compte les questions nationales (15 %).
Sur le plan national, 45 % d'entre eux envisagent de voter « contre la politique d'Emmanuel Macron et de son gouvernement ». Seuls 22 % disent soutenir l'actuelle majorité.
Les événements récents qui affecteront leurs votes :
- Pour 53 % les manifestations des jeunes pour le climat
- La situation des réfugiés en Méditerranée pour 47%
- Le Grand débat national ainsi que les décisions annoncées par l'exécutif après celui-ci pour 42%
Ces préoccupations recoupent les défis que l'Union européenne devra, selon eux, relever « en priorité » au cours des cinq prochaines années :
- L'immigration (51 % des Français certains d'aller voter l'identifient comme un défi prioritaire),
- La protection de l'environnement et la lutte contre le réchauffement climatique (40 %)
- L'emploi et le chômage (27 %).
Les Français, ces Européens pas comme les autres
Concernant la vie politique européenne, enfin, la logique du parlement est mal comprise en France, régime présidentiel où les groupes n'ont pas l'habitude de collaborer, comme dans la majorité des pays de l'UE. Aussi les Français jettent-ils un regard contrasté sur l'actuel duopole unissant la droite du Parti populaire européen (PPE) et les sociaux-démocrates du parti S & D. Parmi les sondés, 52 % estiment que cette coalition trahit le choix des électeurs, tandis que 48 % estiment qu'elle a permis de « faire avancer les projets européens en favorisant la recherche de compromis ».
La dialectique droite gauche n'est pas la seule sur laquelle s'articulent diverses visions de l'Europe. 66 % des Français envisagent le scrutin comme un duel entre proeuropéens et eurosceptiques, 58 % y voient un bras de fer entre progressistes et nationalistes, et 56 % pensent qu'il s'agira d'un affrontement entre patriotes et mondialistes. Ces nouveaux regards sur la politique, toutefois, ne permettent pas de clarifier le choix des électeurs : seuls 45 % d'entre eux ont fixé leur choix, tandis que 52 % restent indécis à divers degrés.
Un sondage qui place le RN en tête, devançant LREM
Le sondage Kantar-Onepoint-La Croix dont le terrain a été réalisé du 6 au 8 mai place le Rassemblement national en tête, à 23 %, devançant la liste de la majorité, à 20 %. L'extrême droite lepéniste ne profite pourtant pas du mouvement contestataire des « gilets jaunes », puisqu'elle stagne dans le même étiage qu'aux européennes de 2014 (25 %) et qu'à la présidentielle de 2017 (21,5 %). La faible notoriété de sa tête de liste – 54 % des personnes interrogées ne connaissent pas Jordan Bardella – est compensée par la fidélité et la solidité de son électorat : 77 % des anciens électeurs de Marine Le Pen veulent voter pour la liste où elle figue symboliquement.
Depuis plusieurs mois, ces deux forces politiques partagent une stratégie commune : réduire le débat à une alternative binaire, « progressistes » contre « nationalistes » pour Emmanuel Macron, « mondialistes » contre « patriotes » pour Marine Le Pen. Seul François-Xavier Bellamy (Les Républicains) parvient, dans ce contexte, à récolter un score à deux chiffres, à 14 %.
La quatrième place est très disputée entre Manon Aubry (La France insoumise) et Yannick Jadot (Europe Écologie Les Verts), à égalité dans le sondage Kantar/Onepoint pour La Croix. Ceux qui citent la première sont cependant davantage sûrs de leur choix (55 % contre 36 %). Quoi qu'il en soit, un électorat de gauche antilibérale et écologiste semble chercher sa voie depuis plusieurs années ; Jean-Luc Mélenchon (19,5 %) et Benoît Hamon (6,5 %) à la présidentielle de 2017 ; Manon Aubry (8 % des intentions de vote), Yannick Jadot (8 %), Raphaël Glucksmann (5 %) et Benoît Hamon (3,5 %) dans la perspective du prochain scrutin.
Raphaël Glucksmann (Place publique-PS) et Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) tournent autour de 5 %, l'un au-dessus et l'autre au-dessous de ce seuil, mais tous les deux dans la marge d'erreur d'un sondage. Le second profite, comme Benoît Hamon, d'une forte notoriété issue de leur ancienneté en politique et de leur candidature à l'élection présidentielle de 2017 : 90 % des Français les connaissent.
Une notoriété qui ne se traduit pas électoralement, les électeurs estimant que le renouvellement des têtes de liste – incarné par Bardella, Loiseau, Bellamy, Aubry, Glucksmann – permet au contraire d'apporter des idées nouvelles (77 %) et même d'encourager la participation aux élections européennes (71 %). Peu d'entre eux craignent que cela fasse perdre du poids à la France au sein des institutions européennes (25 %) ou que leur moindre expérience soit une mauvaise chose (38 %). Cet engouement est cependant à relativiser, comme le relève le directeur de Kantar Public France Emmanuel Rivière : « En théorie, les électeurs apprécient de découvrir de nouveaux visages en politique, mais le fait que les candidats soient majoritairement inconnus donne l'impression d'un scrutin de seconde zone où les vedettes de la politique n'ont pas voulu se présenter ».